Colloque international – SICM 2023 : Le conflit dans la création musicale contemporaine

Lieu: 

ATTENTION
Suite au conflit social en cours, certaines modifications sont à noter pour le colloque international SICM "Le conflit dans la création musicale contemporaine. Violences, idéologies, territoires, hybridations". 
Le colloque aura lieu le jeudi 13 avril 2023 à l'INSPE site Molitor (10 rue Molitor, 75016 Paris), de 9h30 à 16h30.
Le concert de 17h est maintenu ; celui de 19h est annulé.
La journée du vendredi 14 avril à l'Université de Lille n'est pas modifiée.


Paris (13 avril)

Sorbonne Université
Centre Clignancourt,
2 Rue Francis de Croisset 75018 Paris - Salle R-01 --> ATTENTION NOUVEAU LIEU (INSPE - 10 rue Molitor, 75016 Paris)
(métro : Porte de Clignancourt)
Inscription obligatoire avant le 11 avril à colloque.sicm@gmail.com

Lille (14 Avril)

Université de Lille,
Campus Pont de Bois,
3 Rue du Barreau 59650 Villeneuve-d’Ascq Maison de la Recherche - Salle F0.41 (métro : Pont de bois)

Programme: 

Le conflit dans la création musicale contemporaine

Violences, idéologies, territoires, hybridations Colloque international – SICM 2023

Comité scientifique : Jean-Marc Chouvel, Francis Courtot, Louisa Martin-Chevalier, Iván Adriano Zetina Ríos, Eric Maestri, João Fernandes et Luc Deduytschaever.
 

Jeudi 13 et vendredi 14 avril 2023

La notion de conflit, qu’elle soit d’ordre géographique, esthétique, idéologique, politique, s’invite aujourd’hui dans de nombreux aspects de la pratique de la composition. Que ce soit par une évocation directe, en particulier dans la musique électroacoustique, ou plus indirectement dans la conception technique de l’écriture, par l’opposition des matériaux ou des langages, on la retrouve à tous les niveaux de la création musicale. Ainsi, les compositrices et les compositeurs, confrontés parfois personnellement aux différents conflits actuels, en font souvent un élément fondamental de leur discours et de leur imaginaire. Dès lors, observer le lien entre musique et conflits permet d’interroger un ensemble d’approches compositionnelles récentes.

Comment la musique interroge-t-elle la conflictualité, les failles poli- tiques et esthétiques de la contemporanéité ? Comment révèle-t-elle des zones d’ombre et des éléments violents de la nature humaine ? Comment analyser ces interférences de l’histoire brute avec la facture même des œuvres et avec leur poétique ? Quelle fonction peut avoir pour l’auditrice et l’auditeur cette mise en présence de la réalité des conflits ? Dans quelle mesure cette violence a-t-elle pu s’immiscer dans les normes es- thétiques du musical ? À l’inverse, la musique peut-elle avoir pour projet d’apaiser les affrontements, ceux du monde ou ceux qui sont lovés en sa nature propre ?

Programme du colloque

JOURNÉE PARIS – Jeudi 13 avril 2023

9h30 Jean-Marc Chouvel

Introduction du colloque

9h40 Louisa Martin-Chevalier (IReMus-SU)

Création contemporaine et conflit au regard de la guerre en Ukraine.

Dans cette communication, nous proposons d’interroger les relations entre une crise politique majeure et la création musicale, à la lumière de la situation tragique en Ukraine. Il s’agira d’inscrire cette réflexion depuis les évènements de 2015 jusqu’aux créations actuelles. Les compositions de la jeune génération de compositeurs et compositrices dans le domaine de l’électroacoustique, particulièrement méconnues et souvent « invisibilisées » par rapport aux œuvres russes, semblent montrer un intérêt tout particulier pour les thématiques de l’environnement sonore. En nous appuyant sur des témoignages de compositrices exilées, nous nous intéresserons à leurs démarches créatrices, empreintes de questionnements d’ordre écologique. De plus, il conviendra d’explorer la place des femmes, à travers une étude plus précise des répertoires composés et interprétés, tant leur participa- tion semble significative dans le domaine de l’électroacoustique.

10h20 Brigida Migliore (Docteur - Université Aix-Marseille)

La guerre se transforme en musique : les oralités moultakiennes et la représentation sonore de la violence

Les désastres des guerres ont affligé irrémédiablement notre monde à travers toutes les époques. Depuis l’antiquité la musique a participé par différentes manières : comme support ou soulagement dans les batailles ; dans d’autres cas, elle est devenue véhicule de protestes.

Mais que se passe-t-il lorsque l’art musical essaie d’évoquer, de raconter ou de représenter la guerre ? Nous voulons porter notre attention sur la relation entre la guerre et la créativité de Zad Moultaka. Il a vécu le conflit libanais pendant son enfance, cet événement est resté indélébile dans sa mémoire. Plusieurs fois il a repris le thème de la guerre dans ses œuvres, par des simples évoca- tions ou la représentant comme élément central. Dans ses compositions, Moultaka propose différents moyens pour faire en sorte que la guerre se rencontre avec la musique, que la violence participe à l’ambiance sonore. De la force des instruments acoustiques au réalisme électroacoustique, le compositeur expérimente des matériaux plus ou moins authentiques, adaptant son écriture pour peindre les catastrophes auxquelles il a assisté, de manière directe ou indirecte. Ces événements malheureux qui ont eu un impact important sur sa vie et son activité]

11h00 PAUSE

11h20 Luis Velasco-Pufleau (Université de Berne / Université McGill)

Conflits armés contemporains, systèmes de notation et écologie documentale : penser à travers low intensity conflicts de Franck Leibovici.

Depuis le début des années 2000, le poète et artiste Franck Leibovici utilise des documents et artefacts élaborés dans le cadre des conflits dits de « basse intensité » afin d’explorer, par les biais de dispositifs poétiques, les formes de vie produites par ces situations géopolitiques. Suivant une approche écologique, les documents mobilisés – qu’ils soient des transcriptions de chants djihadistes, des vidéos, des résolutions de l’ONU ou des textes divers issus d’internet – sont conçus comme des instruments d’action capables d’expliciter les dispositifs qui les ont produits. En 2019, Frank Leibo- vici publie son « mini-opéra pour non-musiciens » low intensity conflicts aux éditions MF. L’œuvre constitue un écosystème de dix séquences – chacune fondée sur un système de notation particulier – qui produisent des situations et des savoirs spécifiques. De quelle façon l’écologie documentale proposée par Leibovici dans low intensity conflicts bouleverse la notion d’œuvre musicale et peut nous aider à penser les liens entre conflits armés et création musicale contemporaine ? Cette communication apportera des réponses à cette question.

12h00 PAUSE DÉJEUNER

14h Ivan Adriano Zetina (IReMus-Sorbonne Université)

La violence à travers le geste instrumental et l’écoute désincarnée : formes de radicalisation de la recherche artistique dans la création musicale mexicaine.

Les mots violence et conflit, issus des conditions historiques du Mexique, semblent s’entremêler avec la réalité quotidienne de l’artiste pour donner forme à des esthétiques singulières. Dans ce contexte, l’idée de dépassement des conventions se radicalise en produisant la modification des pratiques sur le plan de l’écriture, du jeu instrumental et de l’écoute. Le lien entre la violence sociale, politique et historique et la création musicale n’est pas uniquement présent dans la recherche d’un matériau brut ou dans les questionnements des pratiques instrumentales et des formes “modernisées” d’écoute. Elle est aussi manifeste dans la pulsion d’exprimer frontalement la matière sonore, à travers un geste instrumental transgresseur, inscrit dans la recherche d’un univers de fantaisie et de sophistication matérielle. Ainsi, dans un environnement des pratiques musicales hétérogènes, la violence
et le conflit trouvent leur place pour se faire entendre sans filtres, en prenant tous les risques vis-à-vis du système de production culturelle institutionnelle. Comment se relient la réalité de l’artiste et l’idée d’actualisation de la pratique musicale ? De quelle nature est la violence du geste instrumental, 5 exploitée comme matière artistique première ? De quels traits culturels et idéologiques ces artistes sont-ils tributaires ? L’examen d’un nombre restreint mais consistant des œuvres instrumentales et électroacoustiques du Mexique contemporain nous permettra de donner quelques réponses à ces questions.

14h40 Eric Maestri (IReMus-SU)

« Produire des sons insupportables, lancinants »

La violence et le conflit sont partout et nulle part. Il y a toujours une guerre, mais pas ici. L’expérience de la violence est médiée, présentée en statistiques. Nous savons que la violence est intimement liée à l’âme humaine, mais elle se cache dans la contemporanéité derrière des millions de possibles représentations. C’est l’humanité sans qualités. Pour autant la violence est toujours là ; on peut la percevoir dans les musiques contemporaines. Dans les musiques d’aujourd’hui le conflit se réifie, par ex. dans Diamorphoses de Iannis Xenakis, DieSoldatende Bernd Aloïs Zimmerman et Découvrir la subversion de Luigi Nono. En écoutant ces compositions je retrace d’exemples de violence sonore et musicale et distingue ces deux plans : il y a violence sonore dans des musiques tout à fait acceptables, de succès, et violence musicale, à laquelle on tourne le dos. Cette différence est observée à son tour d’une manière critique sous les notions de nostalgie et de trauma. J’essaie de positionner cette réflexion du côté de l’action : elle n’est pas une phénoménologie, mais le fruit d’une écoute active, ressentie en profondeur, personnelle, minimale.

15h20 PAUSE

15h40 Laurent Feneyrou (IRCAM)

Les guerres de Bernd Alois Zimmermann

Né en 1918, Zimmermann se définissait comme le « plus vieux des jeunes compositeurs alle- mands » – il avait 21 ans au début de la Seconde Guerre mondiale. Dix ans d’écart avec Stockhausen, né en 1928, ne creusent pas seulement un intervalle générationnel, mais un abîme historique entre celui qui étudia exclusivement sous le nazisme et fut mobilisé en 1940, participant aux campagnes de France, de Pologne et de Russie, dans des compagnies vétérinaires et des régiments d’artillerie, et celui dont le destin familial, meurtri par la barbarie et la guerre, exigeait qu’il se relevât dans l’Al- lemagne de l’Ouest de la fin des années 1940. Absolument muet sur les actes de guerre dont il fut le témoin, sinon l’exécutant, comme un tabou ultime, Zimmermann est néanmoins l’auteur d’une œuvre traversée par l’expérience de l’hitlérisme, de la violence militaire et de l’apocalypse soldatesque et civile, de la Symphonie en un mouvement à l’action ecclésiastique Ich wandte mich und sah an alles Unrecht, das geschah unter der Sonne. Cette communication se propose d’en étudier des moments saillants.

 

17h00 CONCERT
Auditorium du Centre Clignancourt Site Molitor

David Caulet

Horizon

Électroacoustique

Les étudiants du séminaire de création instrumentale et électroacoustique (Master de Sorbonne Université)

Écrire une musique en temps de conflit

Les étudiants proposent une œuvre musicale issue de leur réflexion personnelle sur la thématique du colloque et élaborée pendant le séminaire et au cours d’un stage d’approfondissement.

Jean-Marc Chouvel

...and the pursuit of happiness...

Flûte, clarinette, trompette, alto, électroacoustique et vidéo

Cette formule célèbre de la déclaration d’indépendance des État-Unis revenait fréquemment dans mon esprit quand les radios et les télévisions retransmettaient les événements de la deuxième guerre du golfe. En faisant de moi le témoin du déroulement d’opérations militaires que je réprouvais, les télévisions me confrontaient à la pire impuissance qui soit : celle devant la mort donnée volon- tairement au nom d’une falsification des idéaux fondateurs. Cette expérience d’un conflit entre deux flux de conscience — celui formaté par la chaîne américaine CNN et celui d’un être là, d’un être sur terre arrimé à des racines bien plus profondes — irrigue la pièce. On le retrouve dans un conflit ouvert entre les images, entre les images et la musique, entre le plaisir des sens et la réalité du sens, entre la violence éruptive de l’action et la distance insondable de la contemplation.

18h00 PAUSE

19h00 CONCERT
Auditorium du Centre Clignancourt
Œuvres électroacoustiques sélectionnées par l’appel SICM 2023 
Annulé suite au conflit social en cours

Mario Mary, Pedro en su laberinto, 10’

L’œuvre déploie beaucoup d’énergie à travers un discours articulé et vital. Les multiples trajectoires et plans sonores génèrent un espace acoustique riche et changeant autour de l’auditeur. Toute cette complexité pourrait être liée à la vie elle-même, dans laquelle, sans nous en rendre compte, nous créons progressivement nos propres labyrinthes et les terrains où se développent nos conflits les plus profonds.

Agostino di Scipio, Paris - La robotique des Lumières, 9’54’’

Le titre évoque intentionnellement la Dialectique des Lumières d’Adorno et Horkheimer :
l’œuvre tente d’en actualiser et élargir la perspective critique et interrogative, mais strictement sub specie sonora : elle ne se veut pas en manifeste politique, mais se veut manifestement (audiblement) politique. Elle propose une réflexion – d’un point de vue tout à fait personnel, et uniquement dans le médium sonore – à propos de la désillusion actuelle vis-à-vis de certains des principes fondateurs du monde occidental moderne (enracinés dans la Déclaration de Droits de l’Homme et du Citoyen, 1789). Ces principes semblent aujourd’hui avoir peu de prise pratique face aux migrations des peuples et à la pénétration omniprésente des technologies médiatiques (globalisation = colonisation cognitive).

Juan Carlos Vasquez, Maquina M 4’56’’

This piece is a recording made using an instrument consisting of 5 modules for sonic manipulation. Each module contains a different oral recorded testimonial that is organized in chronological order. The central theme of the recording is related to “Plan Condor” (Operation Condor), an inter- national agreement aimed at suppressing social movements in Chile, Argentina, Brazil, Uruguay, and Bolivia between 1973 and 1985. The indirect participation of Colombia, Peru, and Venezuela is also noted. The recording compiles several stories from survivors and/or protagonists of this period, which are assigned to each of the modules.

Matteo Bordin, Symbols 9’54’’

In this composition I explore the electroacoustic possibilities of a single sound source. I used one cymbal (B20 copper aluminum), and I forced it to produce an extended variety of sounds, using diverse materials and electronic processes to induce an uncanny output and to make it sound different than its morphological nature and purpose. This hybridization of the organic and the synthetic, at times violent and contrasting, opens a vast range of sonic and sensorial possibilities in which I translated the conflicts and aesthetics of our precarious contemporary living.

Karen Fenn, La petite flamme contre les tempêtes 8’22’’

La pièce évoque le conflit entre la recherche de concentration, de paix, de contact lucide avec un moi intérieur stable, confrontée aux continuelles interférences du monde extérieur et celles causées par sa propre agitation. Deux éléments sonores s’opposent : un son continu, calme, qui se présente sous plusieurs couleurs, et des sons violents, disruptifs, qui tentent de l’anéantir, l’annihiler. Le son calme disparait, réapparait, dans une lutte pour maintenir son cours.

Jinhui Liang, Memory of humiliation and struggle 9’30’’

This work is creatively created in the form of auditory electronic music around some important historical events in China from the late Qing Dynasty to the Anti-Japanese War. Why did I give concrete music such historical background and cultural connotation? Because I want to depict the violence, ideological conflicts and territorial disputes of the period by this work to let people all over the world to know the real history of a big country, understand the hard years when the Chinese people struggled for independence and prosperity.

I divides my work into five sections to describe five different historical events, each section I fit the sound of particular object I want to express by using the motivational sound playing commonly used rhythm of the Chinese folk percussion, or through the destroy and twist.

Wendi XIAO, Chamane Cramoisie : La Marionnette Haansi, 6’23’’

Cette nouvelle pièce provient d’un mouvement extrait de ma symphonie électronique et de mon long poème du même titre : Her Dark Wondertale. Elle décrit les pulsions sentimentales et l’auto-libération de la Marionnette Haansi, l’un des principaux protagonistes qui racontent un conte de fée sombre. Il s’agit d’un horrible secret qui se déroule dans un parc d’attractions désaffecté.

La grande roue rouillée se balançant dans le crépuscule sanglant, le carrousel putride grinçant et tournant éternellement, la danse grotesque du teddy bear qui a perdu la moitié de sa tête... Ce parc d’attractions en ruines montre une métaphore de l’insécurité de l’existence de l’être-humain contemporain. Le préfixe négatif UN- dans le titre nous entraîne dans le tumulte et la souffrance d’un territoire profond, et nous amène à contempler la vérité de cette œuvre – est-il possible que nous soyons en train de nous libérer lorsque nous éprouvons de la compassion pour les faibles absolus produits par la machine de violence dans notre société contemporaine ?

 
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Programme du colloque

JOURNEE LILLE – vendredi 14 avril 2023

11h00 Marie Pierre Lassus (Université de Lille)

Du conflit à l’opposition créatrice dans la pratique d’orchestre participatif en prison.

Pour la plupart des citoyens, la prison est une zone d’ombre instaurant une ligne de partage entre deux mondes (ouvert et clos) et deux sortes d’humains. Lieu où l’on « prend » le corps pour extraire l’individu de la société et lui imposer un isolement qui le place dans une absolue solitude affective, la prison est toujours pour les autres radicalement autres. La détention dans un espace restreint (9m2) et un temps minutieusement programmé, ne peut que générer des conflits, en particulier en France où la surpopulation peut atteindre 200% (dans les maisons d’arrêt notamment). La violence se manifeste déjà dans l’architecture de ces lieux « hors du commun » qui privilégient la séparation des espaces et des êtres ; le but annoncé étant de protéger la société tout en visant la « réinsertion » des détenus par l’emprisonnement (cf. la loi du 24 novembre 2009).

Quelle(s) fonction(s) peut avoir la pratique musicale dans ces lieux et que fait la prison à la musique ? En tant qu’art vivant, peut-elle libérer une puissance de vie et d’action chez les personnes détenues, trouvant en elle des ressources d’expression pour faire face aux contraintes infantilisantes qui leur sont imposées dans ces lieux ? Entre instrument de torture et lieu d’hospitalité, la musique peut-elle offrir un milieu habitable dans cet environnement hostile et transformer le conflit en opposition créatrice ?

Je m’appuierai sur mon expérience de quinze années de pratique d’orchestre participatif en prison avec les étudiants et les détenus des onze établissements pénitentiaires de la région des Hauts-de-France pour apporter des éléments de réponse à ces questions.

11h40 Frederico Lyra (Université Picardie Jules Vernes)

Désintégration et intégration de la violence sonore dans le free jazz et free improvisation

Dans cet article, nous allons essayer d’élaborer une réflexion autour de la violence sonore dans le free jazz et l’improvisation libre. En nous appuyant sur quelques concepts d’Adorno, nous tenterons de comprendre comment dans un premier temps le choc sur le public et la communauté de musiciens de cette musique radicale semble avoir été celui d’une désintégration de l’écoute et de la pratique par rapport aux normes traditionnellement établies. Dans un deuxième temps, nous tenterons de comprendre comment ces mêmes musiques et musiciens, sans nécessairement renoncer à leur radicalité et à leur violence sonore, ont été intégrés dans une nouvelle branche du marché, de l’édu- cation et de la pédagogie musicale. Comme il s’agit d’une recherche en cours, et donc, sans avoir une réponse définitive sur le problème, nous essayerons d’exposer et de soulever quelques hypothèses qui touchent à des problèmes musicaux, conceptuels, culturels et historiques pour tenter de comprendre le passage d’un premier moment de désintégration à un autre d’intégration.

12h20 PAUSE DÉJEUNER

13h30 Anis Fariji (Université Lille)

La guerre et le conflit dans la musique de Zad Moultaka

Zad Moultaka, compositeur franco-libanais, n’a de cesse d’évoquer la guerre civile libanaise (1975- 1990) qu’il a vécue lui-même, et dont les stigmates se répercutent sur son projet de création. On retrouve par exemple ces stigmates sous forme de sons profonds et sombres, très souvent associés à la grosse caisse. Moultaka affronte plus particulièrement, et ouvertement, le souvenir de la guerre et les résurgences des conflits dans deux opéras, Hummus (2014) et Hémon (2021). Dans le premier, la dramaturgie est sous-tendue par une mémoire clivée, souffrante, traumatisée par la guerre, et qui peine ainsi à retrouver repères. Dans Hémon, le compositeur convoque la tragédie classique pour s’adresser au monde contemporain où « la politique se heurte aux aspects les plus sacrés de l’humanité ». Cette présentation s’emploiera à retracer la poétique de Zad Moultaka au sujet de la guerre et du conflit, et à montrer les manières dont cette poétique se traduit dans la forme musicale.

14h10 Luc Deduytschaever (CEAC- Université de Lille)

L’avant-garde japonaise au sortir de la seconde guerre mondiale

Au lendemain de la dévastatrice seconde guerre mondiale et de l’explosion de Little Boy et Fat Man, c’est un Japon désuni et désemparé qui apparaît. Sous l’occupation américaine et après une période ultra-nationaliste, les compositeurs japonais voient en la tradition une période sombre et douloureuse, rattachée aux violences de la guerre. Au tournant des années cinquante, leur intérêt se porta alors sur la musique avant-gardiste, en plein développement sur les continents européen et anglo-saxon.

Pourtant, dès les années soixante, un intérêt commun de la part des compositeurs japonais pour la traditionéclos.Cesmêmescompositeursquis’ouvraientaumondeetauxcourantsavant-gardistes–une manière de fuir l’horreur de la guerre - allèrent étudier la musique du Japon traditionnel. Dès lors, comment peut être appréhendé ce retour quasi-simultané à ces traditions, rappelant des souvenirs douloureux ?

La question est d’autant plus importante lorsque l’on remarque que des matériaux issus de la tradition japonaise intègrent directement le langage de la plupart des compositeurs japonais, par des processus de syncrétisme très poussés. La musique de Toru Takemitsu, celle d’Akira Tamba et même de la musique pour bande présentent des caractéristiques propres à la musique avant-gardiste et aux traditions japonaises, et les concepts liés à l’une et l’autre semblent coïncider jusqu’à un certain point. Cette manière de procéder peut-elle être comprise comme une forme d’absorption du conflit de la seconde guerre mondiale, mais aussi d’une dualité Orient/Occident, par une forme de revendication nationale ?

Dans cette communication, nous tenterons de répondre à ces questions en nous appuyant sur un compositeur précis qui propose une conception nationaliste de la musique, vers la revendication nationale, dans un langage empreint autant à l’avant-gardisme qu’aux traditions japonaises : il s’agit de Toshiro Mayuzumi. Nous examinerons cet aspect syncrétique de la musique japonaise, à la fois comme un moyen de dialoguer avec les différentes esthétiques de l’avant-gardisme musical et comme une façon de revendiquer une spécificité japonaise.

14h50 Francis Courtot (Université Lille)

Changer de conflits poïétiques

Composition avec des sons versus composition du son, musique composant le son vs musique décomposée en paramètres, musique moderniste / conciliant la tradition, musique sérielle / spectrale, musique instrumentale / musique électroacoustique, musique de processus / de développement, musiques structuralistes / musiques expressives, on en finirait pas d’énumérer les conflits devenus classiques dans la Modernité musicale qui fondent encore aujourd’hui différentes esthétiques musicales. Pourtant, à bien y regarder, la plupart de ces oppositions sont elles-mêmes des survivances de postures, bien plus que des manifestes profonds d’esthétique de la composition musicale.

On cherchera donc, non à aplanir les différents conflits qui gardent du sens, mais à éviter de recourir à des catégories marquées par la Modernité pour appréhender un présent musical ; en d’autres termes, il s’agira d’essayer de substituer à des conflits passés des oppositions récentes...

15h30 TABLE RONDE Modération : João Fernandes

16h30 PAUSE

17h30 CONCERT Théâtre Angelier

Œuvres électroacoustiques

Alfredo Cerrito, Parivartan, 9’37’’

The creative act arises from an expressive need of the artist, and it is almost al- ways accompanied by a feeling of emotional disturbance, a sort of inner conflict. The very idea of conflict can be considered a constitutive element of music itself, as this is made up of oppositions and contrasts: the alternation between sounds and silences, between opposing frequencies, between slow and fast rhythms, between pointillistic sounds and textures make a music piece transform into a struggle between different elements trying to find a balance.

Through musical creation we can explore the tension and ambiguity that characterize the human condition and represent the conflict between the individual and society, between rationality and emotion, between good and evil. In this way, music can become a tool for exploring the complexities of human existence, offering a space for reflection and contemplation.

In this work, the composer wants to highlight these major themes, metaphorically bringing them back to real life. Various sonic materials are combined to explore and address the conflict head- on, bringing out its themes and tensions through its own form and content.

Rawan Krayyem (Narration et enregistrements), Gaëtan Parseihian (Composition), Mouslima El Chahal (Accompagnement à l’écriture), Bayna-l madinati wa moukhayamiha - Entre la ville et son camp 5’02’’

Dans le cadre du programme de résidence Villa Al Qamar de l’Institut Français du Liban, Gaëtan Parseihian, compositeur de musique électro-acoustique, et Mouslima El Chahal, chercheuse en sciences politiques, ont mené des ateliers avec des jeunes de la ville libanaise de Tripoli. Le but de ces ateliers était de créer un récit sonore de la ville, d’un point de vue des habitants, dans un pays qui depuis quelques années connaît des changements radicaux dans le mode de vie à tous les niveaux, social, économique, environnemental et sécuritaire.

ھمیخمو ةنیدملا نیب a été composée par Gaëtan Parseihian à partir des enregistrements اھمیخمو ةنیدملا نیب réalisés par une des participantes Rawan Krayyem. Rawan est une étudiante en journalisme, qui vit dans le camp de réfugiés palestiniens à Tripoli. Les prises de sons sont effectuées en partie dans l›espace publique de la ville, mais également dans le camp. Rawan souhaitait raconter son rapport avec la ville comme une palestinienne qui est née et a grandi à Tripoli, mais aussi déconstruire les stigmatisations et les clichés sur le vécu quotidien des habitants du camp.

Salvador Torré, Cool age grain Pendulum carré 9’51’’

Cette pièce est du type documentaire-témoignage à partir de l’enregistrement du téléphone portable d’un étudiant piégé dans la fatidique nuit du 26 septembre 2014 à Ayotzinapa au Mexique dans laquelle 43 étudiants ont été assassinés et restent à ce jour introuvables. Cet enregistrement est mis en opposition avec les Field Recordings, enregistrés par le compositeur, des feux d’artifice traditionnels des villes de montagne mexicaines, dans lesquels l’explosion de la fusée ricoche et se réverbère tout au long des montagnes environnantes. Ces explosions à la spatialité naturelle sont mises en hybridation avec des explosions virtuelles générées électroniquement, créant un pendule dialectique de spatialisation naturelle-artificielle. D’autre part il y a les témoignages des étudiants, journalistes (beaucoup d’entre-eux ayant été assassinés par la suite), témoignages des analystes, des mères et pères des étudiants, mis en conflit acoustique et compositionnel avec les coups de pendule.

Nicola Cappelleti, b_k_n() 8’55’’

La pièce s’inspire de l’œuvre «The Broken Circle» de la sculptrice Beverly Pepper (2011), créée comme élément de land art dans la ville de Brufa, en Ombrie (Italie). La pièce restitue la re- présentation du conflit comme force génératrice, comme événement explosif du début de la vie et du monde, dans une dimension de timbre et structurale, où le contraste entre statique et dynamisme crée un équilibre formel entre possibilité et impossibilité. La forme générale circulaire, d’où émergent des structures sonores qui offrent autant de trajets interrompus de montée et de descente, interprète la matérialité de l’œuvre originale et son contraste conflictuel avec le paysage, avec une lecture à différentes distances et selon différents angles. La recherche du timbre vise à rappeler les matériaux utilisés pour la sculpture (principalement l’acier et le béton), avec des procédés de synthèse électronique et de préparation d’instruments traditionnels pour un résultat qui associe la matérialité du son à l’utilisation de timbres résiduels comme citations d’une mémoire ancestral partagé, richiamo à la forme universelle du cercle.

Todor Todoroff, Requiem for a city 9’32’’

À toutes les victimes de violence aveugle, à leurs proches et à leurs amis. Et à la mémoire de Mélanie, jeune violoniste et musicologue, curieuse de musicothérapie, enthousiaste et passionnée, dont la joie de vivre lumineuse s’est brutalement éteinte à Bruxelles le 22 mars 2016.

Après les assassinats au Musée juif de Belgique à Bruxelles le 24 mai 2014, j’ai été profondément choqué par l’escalade monstrueuse de la barbarie, avec les attaques islamistes des 7, 8 et 9 janvier 2015 à Paris (France) contre Charlie Hebdo, les policiers et l’Hyper Casher et l’horreur indicible du 13 novembre 2015, pire massacre en France depuis la seconde guerre mondiale.

Particulièrement touché car j’étais en résidence artistique à Paris pendant les deux vagues d’attentats. En rentrant de Paris en voiture dans la nuit du 14 novembre, j’ai ressenti le besoin de réagir. J’ai voulu rendre un hommage aux centaines de victimes innocentes, de témoins traumatisés, de familles détruites. Cette pièce utilise une grande variété de sons: enregistrements in situ (field recordings), techniques de jeux spéciales à l’alto, extraits du Stabat Mater de Pergolèse et du second mouvement de la 7e symphonie de Beethoven, transformés notamment par granulation, synthèse analogique modulaire et extraits sonores tirés des reportages radiophoniques et télévisuels qui ont suivi les attaques du 13 novembre 2015. Dans ces dernières sources, j’ai choisi de mettre en avant les mots des victimes et de leurs proches. Car si cette œuvre est un cri de révolte, elle est surtout un hommage aux victimes auxquelles on a accordé bien trop peu de place dans le battage médiatique post-attentats.

Ron Coulter, Tensions, 6’22’

Tensions was composed in 2023. It confronts the realities of juxtaposing disparate, conflicting geographies, aesthetics, samples, and related narratives to give space to diverse sound worlds and views. It is a two-channel, digital audio composition created of found sounds, field recordings, and digital processing.

Lidia Zielińska, Just too many words 9’39’’

This piece was born from the excess of words in the TV news and comments. How and to such extent it is worth anaesthetising yourself to keep away from the streams of words and at the same time not to miss anything important from the current moment?

None of the events during the day I was recording the materials for my piece, had any importance for this world’s fate, there were an ordinary journalist food, a matter to fill in an air time, thus, an empty talking only. I was not under any historical pressure, so I could handle unceremonious with the recorded materials.

In this piece there is no place for a silence – from the ‘ideological’ (subject of the piece) but also technical reasons. The only moments of silence show that silence is also dirty, seems to be a second-hand product, which discloses an information noise pollution of each piece of environment. For me the only reasonable compositional procedure not to bore the audience was to build the whole piece from the planes of different textures, referring to different ways of speech perception.

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